À l’approche du 1er juillet, le gouvernement provincial a publié un « Guide des bonnes pratiques sanitaires à adopter lors d’un déménagement » afin d’éviter une recrudescence des cas de COVID-19. Si la mise en place de telles directives est compréhensible dans la situation actuelle, celles-ci expriment toutefois une conception particulière de ce que signifie être locataire et, inversement, propriétaire. Comme on pouvait s’y attendre, cette conception favorise le second au détriment du premier. La première recommandation introduit d’entrée de jeu ce déséquilibre : si votre déménagement n’est pas essentiel, le gouvernement vous demande de le reporter. Or, une question simple se pose : qu’est-ce qu’un déménagement non essentiel, si cela existe vraiment? Ce ne peut certainement pas être le locataire moyen, car soit il déménage à la suite d’une (réno)éviction, soit il a trouvé un nouveau bail qui lui convient mieux. Même dans le second cas, le déménagement reste essentiel dans la mesure où le propriétaire précédent a sans doute déjà trouvé quelqu’un pour reprendre son bail ou en profitera pour rénover l’appartement. Et dans le rare cas où leur ancien propriétaire a encore un appartement vacant, le locataire devra quand même payer un nouveau bail en plus du contrat de location qu’il aura conclu avec son ancien propriétaire pendant cette période. Le gouvernement va-t-il également subventionner les locataires dans cette situation très particulière?
Cela soulève une deuxième question : si, généralement, les déménagements des locataires ne peuvent pas être considérés comme non essentiel, alors lesquels le sont? Il ne peut s’agir de nouveaux propriétaires, car ils sont dans la même situation que les locataires qui ont signé un nouveau bail. Si c’est un propriétaire établi qui emménage dans une nouvelle maison, alors, à moins qu’il ne soit très riche, on peut s’attendre à ce qu’il ait déjà vendu son ancienne maison; dans ce cas, son déménagement est également essentiel. Le seul cas réaliste de déménagement non essentiel serait celui d’un propriétaire qui s’est construit une deuxième maison sans vendre la première; il peut donc effectivement emménager dans sa nouvelle maison quand il le souhaite. Ainsi, notre question au Premier ministre Legault est la suivante : quel est le pourcentage des déménagements qui entrent réellement dans cette catégorie?
Les deuxièmes et troisièmes lignes directrices renforcent d’autant plus ce déséquilibre : si, comme la majorité des gens, vous considérez que votre déménagement est essentiel, vous avez alors le choix de faire appel à une entreprise de déménagement agréée par le gouvernement (2e recommandation) ou d’effectuer le déménagement vous-même (3e recommandation), sans le soutien d’aucun ami ou membre de la famille afin de respecter la distanciation sociale. Finalement, si vous devez employer l’aide de vos proches, il est obligatoire de le faire en respectant les mesures de distanciation sociale déjà établies: distance de 2 mètres, une seule personne par pièce, etc. Ensemble, ces deux lignes directrices supposent non seulement que les locataires peuvent se permettre de faire appel à une entreprise de déménagement, mais aussi que les locataires qui n’ont pas les moyens de le faire sont en mesure de faire tout le travail par eux-mêmes. Ces recommandations suggèrent que d’avoir recours ou non à des déménageurs professionnels relève du libre choix des locataires, tout comme l’acte de déménagement lui-même. Que faire si le déménagement ne peut pas être accompli par une seule personne, qui ne peut pas non plus se permettre de faire appel à une société de déménagement? Est-il vraiment possible d’effectuer un déménagement à plusieurs en se tenant à 2 mètres de distance, avec une seule personne par pièce? Difficile de voir comment on peut respecter ces mesures dans un logement autre qu’un grand condo ou une maison. Il s’agit d’un groupe démographique beaucoup plus important que celui des “déménageurs non-essentiels”, mais aucune aide n’a été mentionnée de ce côté. Le gouvernement subventionnera-t-il également leur déménagement ?
En omettant de fournir des subventions pour les deux cas mentionnés ci-dessus, le message du gouvernement est clair : ces directives sont destinées à ceux qui possèdent le capital nécessaire pour les entreprendre, et constituent un obstacle important pour les personnes qui ne le possèdent pas. Bien que cela ait toujours été la norme, il était autrefois possible de combler cette disparité sans argent, notamment grâce à l’existence d’un capital social, ou d’amis et de parents qui sont prêts à vous aider sans demande explicite de paiement en retour. En d’autres termes, les locataires dépendent de cette forme de capital que possède la majorité des gens sur terre et qui, contrairement au capital monétaire, est renforcé au lieu d’être détruit en temps de crise. Comme nous pouvons le constater, les directives sanitaires actuelles s’articulent autour de la proscription de cette forme de capital, tout en omettant d’offrir un soutien financier en échange. Tout comme les meubles mis au rebut, ceux qui ont le plus besoin d’aide au 1er juillet seront à nouveau laissés sur le bord du trottoir si des mesures adaptées à la situation des locataires ne sont pas mises en place. C’est pourquoi nous interpellons le gouvernement du Québec afin qu’il prolonge les baux jusqu’au 30 septembre prochain pour permettre à tous et à toutes de rester en sécurité.